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La notion de "compliance" face aux pays émergeants, l’exemple du Vietnam

Le 16 août 2016, le parquet populaire de Ho Chi Minh Ville (HCMV) a condamné l’ancien patron de la banque de construction du Vietnam (VNCB), à 30 ans de réclusion criminelle pour la perte de 417 millions de dollars US suite à une « violation délibérée des règles sur le crédit et des emprunts financiers ». Ce procès intervient dans un contexte de lutte intensive contre la corruption menée par les Hautes instances de l’Etat et le Parti communiste vietnamien. Une campagne qui fait écho à une récente initiative de rachat des « créances douteuses » détenues par les banques locales afin d’épurer définitivement le marché bancaire vietnamien ; une problématique qui intéresse de près les spécialistes du droit, à l’instar du colloque organisé le 2 avril 2015 à HCMV par l’Association des Juristes d’Affaires Internationales (AJAI) en présence de Professeurs français, M. GHOZI, M. GRIMALDI et vietnamiens, M. DO Van Dai et M. NGUYEN Ngoc Dien.

En adoptant cette attitude, le Vietnam souhaite ainsi s’aligner sur les nouvelles normes de compliance, concept assimilé par un nombre croissant de dirigeants d’entreprises internationales. Selon le Professeur Antoine GAUDEMET, Professeur à Panthéon-Assas (Paris II), la compliance peut être définie comme « l’ensemble du processus permettant d’assurer la conformité des comportements de l’entreprise, de ses dirigeants et de ses salariés aux normes juridiques et éthiques qui leurs sont applicables ». La responsabilité sociale des entreprises (RSE), les normes environnementales ou la lutte contre la corruption font partie intégrante de cette problématique. Une notion qui prend racine dans le système juridique anglo-saxon ; terreau qui a permis un rapide développement du processus aux Etats-Unis où le libéralisme économique fait foi et les tentatives d’entraves du marché économique (corruption, blanchissement d’argent…) sont fortement blâmées.

 
France-Vietnam : des objectifs similaires ? 

Cependant, pour des raisons culturelles, la France n’a pas encore intégré cette notion de compliance, le pays restant fidèle à sa politique interventionniste ; que dire alors du Vietnam, l’un des derniers Etat communiste du monde… Ces deux nations ont toutefois décidé d’adapter leurs systèmes juridiques face à un marché affaibli par les récentes crises économiques provoquées par de graves fraudes, incitant les entreprises à adopter une conduite exemplaire afin d’endiguer d’hypothétiques menaces. En France, la loi Sapin II, adoptée par le Sénat en juillet 2016, apparait comme les prémices d’une véritable politique de compliance.

En Asie, selon Brian BURKE, responsable de l’activité contentieux du bureau chinois de SHEARMAN & STERLING, « La demande en conseils spécialisés devrait continuer à croitre en Asie, où les opportunités économiques vont malheureusement souvent de pair avec les risques de conformité. » ; la minimisation de ces règles par un étranger pouvant être sévèrement sanctionnée ou totalement ignorée par les autorités asiatiques ! La compliance offre donc « une troisième voie entre impunité et condamnation pénale » souligne l’avocat Laurent COHEN-TANUGI lors d’une conférence sur la question, animée par l’ancien bâtonnier Pierre-Olivier SUR. Ainsi, la compliance se doit d’être adoptée par tout pays émergeants souhaitant s’affirmer sur la scène internationale, à l’image du Vietnam, qui désire conforter sa place de 2ème destination privilégiée en termes d’IDE en Asie du Sud-est.  

 

La compliance en France

La compliance est un concept à géométrie variable qui diffère selon les entreprises et parfois entre les sièges d’une même société. De la même manière, les écarts entre les différents systèmes juridiques engendra l’application extraterritoriale des lois américaines face à des entreprises françaises (Alstom, BNP Paribas) démunies juridiquement et condamnées à payer de lourdes amendes. La France a donc réagi, dotant le nouveau parquet national financier de prérogatives juridiques étendues en matière de prévention et de lutte contre le blanchissement et la corruption. La loi Sapin II, considérée comme un UK Bribery à la française, souhaite ainsi poursuivre cette dynamique en imposant une obligation de prévention contre les risques de corruption à la charge des entreprises et ainsi offrir un cadre juridique à la notion de compliance.

Cette obligation pourra être proposée par le procureur avant la mise en mouvement de l’action publique aux en cause pour des faits de corruption ou de trafic d’influence, qu’ils soient internes ou internationaux. La sanction pécuniaire s’élèvera à 30% du chiffre d’affaire moyen annuel et pourra s’accompagner d’une peine complémentaire de mise en conformité, exécutée sous le contrôle de l’Agence de lutte contre la corruption.

La France se dote ainsi d’un arsenal juridique en matière de compliance et ces initiatives participent à l'émergence de nouvelles missions pour les cabinets d'avocats : le Compliance Officer et le Data Protection Officer, des fonctions rendues obligatoires dans certains cas par un règlement européen du 27 avril 2016. Des activités inédites qui impliquent une connaissance pointue des normes juridiques et éthiques, au niveau national et international. Une maitrise des outils de gestion, de communication et d’ « Information technology » (IT) est également nécessaire afin d’effectuer une évaluation systémique de la compliance au sein d’une société pour éviter les poursuites pénales. De nouvelles problématiques apparaissent donc pour les entreprises qui devront demander de l'aide aux praticiens du droit, en particulier dans les pays émergents d’Asie du Sud-est tel que le Vietnam. 

 

La compliance au Vietnam

Le Vietnam apparait comme un pays très attractif aux yeux des investisseurs étrangers. Un avantage que le gouvernement souhaite conserver à grands renforts de lois assouplissant l’environnement des affaires : révision de la Loi sur les entreprises, Loi sur l’investissement, Loi foncière et Loi sur l’immobilier d’entreprise. Néanmoins, le Vietnam reste complexe pour un investisseur étranger ; le pays atteignait le score de 31 sur 100 au dernier Transparency International’s Corruotions Percentage Index.

Par exemple, le Vietnam possède l’un des systèmes fiscaux les plus complexes de l'ASEAN. En vertu de la compliance, toutes les entités à participation étrangère sont tenues de faire vérifier leurs états financiers annuels par une société indépendante. Les audits juridiques au Vietnam sont effectués conformément aux normes du Vietnam relatives à l'audit, tandis que les rapports financiers doivent être conformes aux normes comptables vietnamiennes. Ces normes asiatiques peuvent souvent diverger, de façon significative, avec celles utilisées dans le marché intérieur de l’entreprise et doivent donc être scrupuleusement étudiées pour assurer la validité de tous les aspects des rapports et des examens.

De même, pour maintenir la conformité avec la loi vietnamienne, il est conseillé aux entreprises étrangères d'effectuer un bilan juridique global au sein de leur structure : mise à jour de la gouvernance d'entreprise, du règlement intérieur, des contrats, prise en compte de la protection des données des consommateurs… avant l’intervention des autorités vietnamiennes

Ainsi, la compliance s’affirme aujourd’hui comme un enjeu incontournable de la gouvernance d’entreprise, poussant les sociétés à réformer intégralement leur politique interne, même si la mise en place de cette nouvelle notion demeure complexe. En effet, un subtil équilibre doit être trouvé entre, d’une part, cette recherche d’harmonisation des systèmes juridiques autour du concept de compliance ; et d’autre part, la prise en compte des particularismes de chaque Etat, notamment dans les pays émergeants où l’assimilation de cette notion ne doit pas entraver leurs croissances économiques et leurs efforts de modernisation.

 

Depuis plusieurs années, le Vietnam dispose d’un arsenal légal et d’un environnement juridique propices au développement de la compliance : mesure du Code pénal n°15/1999/QH10, adoptée par l'Assemblée nationale le 21 décembre 1999 et modifiée en 2009 ; la Loi anti-corruption n°55/2005/QH11, adoptée par l'Assemblée nationale le 29 novembre 2005 ; le Décret n°59/2013/ND-CP concernant la mise en œuvre de certains articles de la Loi anti-corruption (décret 59); et la Décision n°64/2007/QD-TTg (articles 3, 5, 9, 10 et 12) en date du 10 mai 2007, concernant la remise de cadeaux aux fonctionnaires.

Auteurs : Alexandre Michel, Juriste Communication, Mécénat & RSE et Me Caroline Chazard, Avocat au barreau de Paris



 

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